Du temps de ma petite enfance, il y avait dans mon quartier une épicerie située à l' angle de la rue Dupuytren et de la rue longeant la plage.

Elle était tenue par Mr et Mme GRAU, mais on la désignait par le prénom de l' épicière... on allait
"Chez la DIEGA"...

C' était un magasin à l' ancienne, parfaitement adapté aux besoins et surtout aux moyens financiers de sa clientèle.

On y trouvait à peu prés de tout.... Café, légumes secs, cacahuètes dans leurs cosses, sel semoule... tout cela, contenu dans de grands sacs en jute, posés à même le sol, voisinant avec les tonneaux d' olives, d' anchois dans la saumure... et les caisses circulaires, en bois, contenant les sardines salées et fumées, appelées de "casco" (que par dérision, on désignait sous le nom de "côtelettes espagnoles"), présentées en cercles concentriques... ainsi qu'avec les bidons, en fer blanc, de concentré de tomate et de variantes ...

Sur le comptoir, Majorquine et chorizo, venus d' Espagne... saucisson, mortadelle, pâté de conserve, étaient protégés par une vitrine.

Tout cela, vendu au détail, au poids et indifféremment emballé dans du papier d'"estrassa"(1), plutôt épais et lourd, en forme de cornet, la plupart du temps.

Pour acheter de l' huile de cuisine, du vinaigre, du vin, du pétrole ou de l' alcool à brûler, il fallait apporter des bouteilles que l' épicier emplissait, en personne... car lui seul, avait le droit de manœuvrer les robinets des fûts...

Bougies, safran, allumettes, bière en bouteille d'un litre, vendues, fraîches l'été... etc...

Les senteurs particulières de toutes ces marchandises, solides ou liquides, s' entremêlaient...

Du plafond, pendaient des spirales de papier gluant où des nuées de mouches se laissaient attraper.

Pour nous, enfants, cette épicerie était véritablement la "caverne d' Ali Baba" ... des vitrines et des pots en verre contenaient, en effet, petits pains d' épices, madeleines, meringues biscuits secs, bouchées de chocolat, sucettes, rubans de réglisse, bonbons acidulés, boulettes à l' anis...

Comment, dans ces conditions, les galopins du quartier, particulièrement désargentés, auraient-ils pu résister à l' envie de jouer aux quarante voleurs ??? Dès que l' un deux était chargé, par sa mère, d' effectuer un achat chez la Diéga, toute la bande, à sa suite, envahissait l' épicerie, au grand dam de Mr GRAU, qui ne pouvait, à la fois, surveiller tous ces garnements arborant, pour la circonstance, des airs de Sainte Nitouche. Dés l' achat terminé, ce gang en culottes courtes, comme une volée de moineaux, allait se réfugier dans son repaire, en l' occurrence, l' épave d' une barque de la madrague, abandonnée depuis fort longtemps, sur la plage... et dans laquelle, à l' abri des regards... le produit du larcin, était partagé, équitablement...

Tout cela m' est revenu en mémoire, à Playa de Aro, quand le petit fils de Mr et Mme GRAU, déguisé en "mouquère" (2), nous a fait mourir de rire, en effectuant une danse du ventre.

J' ai revu, avec précision, Mme Grau, se balançant doucement, sur un roking-chair, tout en manoeuvrant son éventail, pour lutter contre la chaleur... Mr GRAU, avec son éternel bâtonnet de réglisse, au coin des lèvres, et un crayon sur l' oreille....

L' épicerie, maintenue ouverte dès l' aube, jusqu' à fort tard le soir... car ces braves gens, qui, avec un grand sens du commerce, savaient offrir, à leurs clients, un service de proximité, chaleureux et de qualité.

Eliane Gatto

Mme Grau, Serge et son frère Faline

(1)... Papier épais d' emballage, qui avait un peu l' aspect du buvard, dont se servaient les épiciers, après guerre.

(2)...Mot algérien, de l' espagnol :mujer... signifiant femme.