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Jean Pierre Ballester
Le retour Impromptu

 


Mon-film-arzew-81-Jean Pierre Ballester -
Le Retour Impromptu

envoyé par ARZEWVILLE. -
Après la mise en lecture, ne pas oublier de choisir le mode HD et de passer en grand ecran....
Bonne lecture.

 

Le Retour Impromptu-1981

Vingt ans, vingt ans ou presque qu'Arzew me taraude l'esprit.
Il ne se passe pas une seule journée sans que me reviennent comme une litanie les images de mon enfance, sans que j'en parle autour de moi à l'envi. Il va sans dire que mes interlocutrices privilégiées sont mes deux filles et mon épouse à qui je rebats les oreilles à n'en plus finir, de la Crique, de la Plage des Abattoirs, de la Fête du 15 août etc... Etc.

Certes, si Arzew reste et restera à jamais au plus profond de mon être, dans ma tête les souvenirs s'estompent de façon inexorable: Vous pouvez arracher l'homme à son pays mais jamais vous ne pourrez lui arracher le pays qui est dans son cœur*. J'étais un adolescent d'à peine 16 ans au moment du grand exode, j'en aurai bientôt 35, forcément les souvenirs deviennent flous!

Au matin du 9 avril 1981, la sonnerie résonne à la maison à une heure inhabituelle … Je me penche à la fenêtre du premier étage, quelle bonne surprise: c'est René, il est là sur le pas de la porte. Il est certainement comme à son habitude, porteur de quelques histoires et autres aventures ramenées d'Afrique ou d'ailleurs, dont nous buvons littéralement les paroles à chacune de ses visites. IL est, comme je l'appelle moi, mieux qu'un ami, mon frère de rue.

Depuis l'expatriation en 1962, nous sommes quelques uns à nous revoir et à nous fréquenter, encore trop peu à mon goût, grâce au « téléphone arabe » mais aussi au travail soutenu de nos recherches mutuelles.

René (Gimenez) n'a pas franchi le seuil de la porte qu'il m'annonce, sourire aux lèvres : « je pars à Arzew dans 3 jours ! »

Dès qu' il le peut, il va rendre visite à ses parents restés « là-bas » depuis l'indépendance, bien qu'ils aient dû « s'exiler à la Fontaine des Gazelles ». (J'en connais quelques uns qui ne s'en plaindraient pas). Le centre ville était devenu un véritable enfer pour eux.
« Bueno que ? tu viens ou tu viens pas ? me défie t-il, sûr de son effet.
Pour lui, aller à Arzew, c'était devenu presque banal!
Je ressentis dans tout mon corps un fourmillement intense, en même temps, il y avait une petite saveur indéfinissable, quelque chose d'incompatible.

Je compris alors que je n'avais pas de passeport. Je lui répondis malgré cela: « ouais, bien sûr » ! ! ! Et c'est grâce à mes relations professionnelles que le 11 de ce mois d'avril 1981, j'allais me procurer le sésame obligatoire, à la sous-préfecture !
Il s'agissait aussi de décider
Jean Louis Moll, un autre « larron ».
On se fixa rendez-vous à Istres, le 12 ! Il s'avéra que la période était assez mal choisie. En effet à l'approche des fêtes de Pâques, il allait être très occupé par son commerce. Et c'est la mort dans l'âme qu'il dut, décliner la proposition.

Francis (Florès), le quatrième frère de rue, devait nous rejoindre à Sète d'où le départ était prévu.
Le 12 au matin nous étions tous les 3 sur l'aire d'embarquement avec la voiture de René bourrée à bloc, je dirais même farcie, jusque dans les plus petits recoins : Nécessité « fait loi ». René était passé maître en la matière : c'est avec une dextérité déconcertante, qu'il s'appliquait à arracher la moquette de la voiture toute neuve, louée pour cette occasion là ! Pas le moindre petit espace fût oublié , puis enfin le tout fût consciencieusement recollé afin de satisfaire à l'examen de passage. Il faut dire que depuis longtemps la pénurie sévissait « allègrement » en Algérie ! J'ai surpris par exemple, « Mme Gimenez » en train d'étendre des sacs en plastique après les avoir lavés. Un mal pour un bien : point de pollution à craindre de ce côté là.

La traversée de la Méditerranée sur le « Zéralda » se fit sans soucis, elle me parut un peu longue dans ce sens, mais lorsque je vis défiler le cap Carbon, le cap Ferrat, la pointe de l'Aiguille, Kristel et la pointe Canastel, j'étais en transes, tout mon corps était parcouru par un énorme « frémissement » de bonheur !
Mon pays était là, à quelques encablures et mon village juste derrière. J'en prenais plein les « carreaux », le toucher était à ma portée, quelle jouissance!

A l'arrivée au port d' Oran mon enchantement s'altéra quelque peu tant le spectacle m'apparut désolant. Les quais étaient jonchés de détritus, tachés d'huiles de vidanges et parsemés d'objets hétéroclites, les bâtiments étaient passablement délabrés, comme abandonnés !
Il nous fallut aussi souscrire à d'interminables formalités, dans une pagaille indescriptible : si la majeure partie des bâtiments m'a paru inoccupée, il semblerait que toute l'activité se concentrait dans un seul hangar en guise de bureau, d'où la cohue engendrée. Une fois les papiers obtenus non sans douleur, on pouvait enfin entamer la dernière étape de notre voyage, c'elle qui nous faisait tant rêver : retrouver la route d'Arzew !

Toute cette tension accumulée depuis notre départ, eut raison de ma volonté, lorsque, quarante kilomètres plus loin, les 5 lettres alignées sur le panneau à fond blanc s'étalaient là devant nous, Royales : A R Z E W, j'avais du mal à le croire.

Oui, cela existait bien ce n'était plus un rêve. Je fondis en larmes, et pendant les deux premiers jours de notre séjour dans notre ville adulée, j'étais meurtri, désabusé: c'était bien mon Arzew, mon village.

Je le retrouvais bien plus petit que dans mon souvenir, mais surtout pitoyablement défiguré. Je compris alors que mon Arzew à moi n'existait plus et n'existerait plus que dans mon cœur, une ville presque déserte et de surcroît dégradée se présentait à nous. Entre joie et désespoir, mes sensations s'égaraient!

En arrivant à La Fontaine des Gazelles. Mme Gimenez nous remit un télégramme : Jean-Louis nous conjurait, nous implorait d'aller le « récupérer à La Sénia, l'aéroport d'Oran. Heureux comme des enfants, que nous étions redevenus pour la circonstance, nous nous apprêtions à faire le voyage, lorsque notre « vieux » complice entra dans la pièce (Notre cadet de 4 ans à tous les trois). Notre joie n'en fut que plus grande. IL n'avait pu résister à l'appel « du pays » et avait pris l'avion deux jours après nous.
Quelle bonne surprise ! Les retrouvailles de quatre amis d'enfance, vingt années plus tard sur le théâtre même de leurs existences d'enfants, puis d'adolescents revêtaient un aspect tout particulier. Je compris qu'il fallait vivre le temps présent sans remords ni angoisse.

C'est ce que nous nous sommes appliqués à faire et à 200 à l'heure encore ! Aucun plaisir ne fut boudé, depuis la chasse aux sangliers - même en période prohibée - en passant par la pêche du bord ou bien en « pastera » : pour le « broumedge » pas de problème, nous l'avions sur place et presque à volonté n'est-ce pas Jean-Louis ?
En effet sur cette véritable coque de noix le moindre clapotis se transformait en un épouvantable roulis pour qui n'a pas le pied marin, et c'était bien le cas de notre d'Artagnan, qui rendait sans vergogne le délicieux petit déjeuner préparé le matin même par Mme Gimenez. Blanc comme un linge bien propre, et « maredjao » comme un chien il « amorçait » comme personne ce jour là. Malgré tout il eut la volonté de rester dans la barque jusqu'à la fin. Quel exploit ! Mieux encore, il voulut s'occuper seul du nettoyage du poisson une fois à terre….Quel plaisir non dissimulé pour lui , il triturait avec délice ces poissons dans l'eau prisonnière des anfractuosités des rochers de la fontaine des gazelles… j'ai connu des corvées bien plus pénibles !!!

Les anciens arzewiens, les commerçants, tous rivalisaient de gentillesse et d'attention. L'accueil fut des plus chaleureux, nos amis arabes se souvenaient de cette vie passée ensemble et rien ne leur semblait trop beau pour nous. Malheureusement le temps nous manquait. Nous n'avons pas pu honorer les très nombreuses invitations reçues.

Nous avons passé là une grande semaine remplie tout à la fois d'un vent de folie, et d'une activité extrême. Tels Robinson et Vendredi, on se replongea tous les quatre au temps où l'on avait le temps, on redécouvrait les coins de nos « exploits » réels ou enjolivés, les « lieux » encore accessibles où on était Zorro, chef apache, visage pâle ou cow-boy !!! Notre jubilation était intense et permanente.

Cela ne nous empêcha pas de rendre un hommage à nos ancêtres restés sur leur terre, sur notre terre ! Je n'eus aucun mal à retrouver la tombe familiale dans notre cimetière. Il n'avait pas vraiment l'air abandonné, certaines tombes étaient plaisamment envahies par de magnifiques fleurs naturelles, d'autres disparaissaient quasiment sous la végétation abondante, je n'ai compris qu'après qu'un gardien habitait sur place. . . .Ce qui a eu pour effet bénéfique d'écarter les éventuelles déprédations !

Il ne nous restait plus que trois jours à passer dans notre ville.
Francis me rappela qu'il fallait penser à prendre des « photos » pour « le souvenir ».

Nous ne disposions que d' une seule voiture pour quatre et nous logions à une petite dizaine de kilomètres du centre ville, la route peu fréquentée et toute en virages ne facilitait pas les déplacements, surtout en individuel!

Ce n'est donc que la veille de notre départ, le 22 avril, je crois, que René consenti enfin à nous déposer en ville. Nous étions bien décidés à arpenter les rues en tous sens malgré l'interdiction: il y avait obligation d'une autorisation spéciale pour s'adonner à la photographie! Qui aurait pu se priver d'une telle activité somme toute anodine et innocente! A fortiori, nous étions persuadés que notre qualité de natifs du pays, nous investissait en quelque sorte d'un statut particulier, et nous avons donc fait fi de cette recommandation.

Conscients qu'il était d'ores et déjà trop tard pour espérer quadriller consciencieusement les sites, il nous fallait réaliser un « panel » conséquent de ce lieu, si cher à nos cœurs et à nul autre pareil. C'est au pas de course que nous réalisons notre mini « reportage » , Francis avait pris l'habitude de ranger son petit appareil à l'intérieur de son blouson après chaque prise de vue à la manière d'un prestidigitateur, un peu comme si son souci était de camoufler ses gestes, ce qui n'était pas le cas d'autant qu'à côté de lui ,j'étais moi, affublé d' une sacoche pour le moins volumineuse , équipée de divers objectifs et autres filtres, qui ne laissait aucun doute quant à notre activité photographique !!!

Le dernier souvenir que j'ai pu immortaliser sur ma dernière photo à Arzew, c'est le début de la route qui mène à l'abattoir (sic) avec sur le coin gauche de la photo le nez ou plutôt le bout du capot de la Jeep qui émergeait et dans laquelle patrouillaient deux gendarmes ! A mon sens, au vu de leur attitude ils étaient parfaitement bien renseignés. Ils sont arrivés en trombe, laissant leur véhicule au milieu de la chaussée dans un virage, sautant de la Jeep comme un seul homme puis se dirigeant résolument sur nous, ils nous intimèrent vertement l'ordre de les suivre rapidement. Ils se réclamaient de la gendarmerie, ce qui nous parût pas évident du tout, leur tenue ressemblait fortement à celle que nous utilisions à l'armée, pendant les travaux ou manœuvres, en clair ils étaient affublés de vieux treillis camouflages.

Ils nous embarquèrent dans la jeep destination la gendarmerie, puis arrivés sur place, nous dépouillèrent de tout notre attirail photographique qu'ils posèrent sur l'unique table qui meublait le bureau avec ses deux modestes chaises d'école élémentaire. Je ne m'étalerai pas sur certains détails, ni ne commenterai plus que ça ce que je considère comme une « prise d'otages ». Ce fut pour le moins grotesque et humiliant, nous ne venions pourtant pas faire de l'espionnage, ils en étaient forts bien conscients à preuve : et quoi qu'on en dise, je pense que le « bakchich » s'il est souvent nécessaire dans ces circonstances, là il s'avéra surtout suffisant, (Un grand merci à notre ami Driss qui malgré tout nous consacra pas mal de son temps… !).

A ma très grande surprise, la gendarmerie n'avait pas changé d'un iota de l'époque où gamin (et à tort ou par erreur) je m'étais retrouvé avec une bande de copains (dont le chef était Pep) un peu en garde à vue dans la cour de celle-ci ; appelé un par un pour être questionné dans ce fameux bureau, à propos d'un cabanon vandalisé au cap Carbon*. Il est vrai que notre joyeuse bande avait été vue quelques jours auparavant dans le jardin de celui-ci dégustant goulûment de jeunes et belles fèves bien tendres !!!

J'ai enfin pu récupérer mon appareil ainsi que les accessoires et quatre ou cinq rouleaux de négatifs grâce à l'intervention de Driss comme je l'ai dit plus haut, juste avant notre départ, celui-ci volontaire. En voici aujourd'hui le modeste(-) résultat !

J'espère de tout mon cœur que ce diaporama vous enchantera, malgré les injures du temps qui ternissent les murs de nos maisons et de nos quartiers, l'ombre ancienne de notre belle cité est encore présente. J'ai été pendant tout mon séjour comme transcendé, je me suis senti invulnérable (à tel point que mon arrogance dans l'épisode « gendarmesque » a failli me jouer des tours, heureusement j'ai pu compter sur le sang froid de mon ami Francis…), porté par une force invisible. Ce voyage restera un de mes plus beaux souvenirs, impérissable, vital !

Je crie un grand merci à tous ceux qui ont contribué à ce véritable bonheur.

Reste la grande question en suspens, faut-il revoir ou ne pas revoir le pays où nous avons poussé notre premier cri ?

J'y répondrai par une autre question: Doit-on se rendre au chevet d'un être cher, rendu presque méconnaissable par la maladie et à l'article de la mort ou bien garder de lui, le souvenir de sa personne en bonne santé? - Vous avez dit « Dilemme? »

JEAN – PIERRE BALLESTER

 


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