On dit souvent qu'au fil du temps qui passe, on finit par ne garder que les bons souvenirs, soit dit en passant, une subtilité qui m'échappe !! Mais j'ai l'impression, malgré tout, d'avoir été une enfant assez chanceuse. Je m'émerveillais de tout, des choses et des petits bonheurs les plus simples...
A tout ce dont je rêvais, que je n'ai pas obtenu, pour me sentir comblée. C'est de ces années que je me suis construit mes premiers beaux souvenirs.
Après leur avoir conté mon enfance, je souhaite à mes enfants et petits enfants de ne garder que le meilleur...
Bien sûr, on redouble d'efforts et d'amour pour combler certains vides, mais les souvenirs ne meurent qu'avec nous, ils restent notre bâton de vieillesse !!
Bon 15 août et grosses bises à toutes et tous
C’est un vrai bonheur d’évoquer les fêtes du 15 août, où tout Arzew vivait des heures de communion et où les cœurs des grands et petits débordaient de joie, dans l’euphorie et l’ivresse des préparatifs.
Après la longue période de labeur, elles apportaient une heureuse détente, il nous semblait même, qu’en ces jours de liesse, les querelles et les soucis étaient vite oubliés et que la vie était devenue plus belle.
Un intense contentement habitait tous les habitants et pour nous, enfants, ces souvenirs restent des instants inoubliables.
Quelques semaines avant, les grands travaux d'été commençaient chez-nous, tout l'appartement était rafraîchi, nettoyé dans ses moindres recoins. Certaines années, on rénovait tout, un peintre chargé de l'ouvrage repeignait, en "moucheté", chacune des pièces, dans des couleurs nouvelles à la mode du moment.
D'autres étés, ma mère embauchait ma tante Marie, matelassière de talent, qui débarquait de bon matin avec son matériel pour carder la laine et en rajouter au besoin.
C'était un vrai spectacle, très prisé par tous les enfants de l'immeuble...
Installée dans la cour, à l'aide de deux longues et fines tiges de métal, elle entamait un "duel" avec la laine qui, peu à peu, retrouvait moelleux et volume. Assise à même le sol, elle reconstituait ensuite un épais matelas, bordé de bourrelets, recouvert d'une nouvelle et jolie toile à rayures ou à fleurs, cousue à l'aide d'une longue aiguille. Depuis, je n'ai jamais retrouvé cette sensation de bien-être et de confort sur aucun des matelas m'ayant appartenu par la suite. Une fois sa tâche accomplie, ma brave tante venait chercher sa récompense, déjeunait en notre compagnie puis, en buvant un café, elle écoutait ma mère lui lire des romans à l' eau de roses dont elle se délectait, et qu' à cette époque, des vendeurs itinérants livraient à domicile.
Ce n'était vraiment pas cher payé !! et cette générosité désintéressée m'émouvait profondément, c' est pourquoi je la préférais à toutes mes autres tantes. Elle était, par ailleurs, pleine d'humour et ne manquait jamais, à chacune de ses visites, de nous amener des friandises que souvent elle avait confectionnées elle-même.
A l' occasion du 15 Août, les enfants devaient obligatoirement étrenner, aucune mère de famille riche ou pauvre n'aurait dérogé à cet usage... Comme nous étions quatre filles et afin de limiter les dépenses, ma mère faisait confectionner nos nouvelles robes, avec du tissu acheté au mètre, par la couturière du quartier. L'honneur était sauf et nous allions pouvoir nous pavaner dans nos "habits de lumière".
C'était également cela le 15 Août, et avec une impatiente folle, nous comptions les jours qui nous séparaient du "jour J".
Deuxième partie...
S'il me fallait choisir parmi mes souvenirs de fête d'Arzew, je privilégierais sans conteste, ceux des années où des membres de notre famille, vivant à Oran au faubourg de Gambetta, venaient se joindre à nous, pour assister à cet évènement qu'ils n'auraient manqué à aucun prix.
Avec mon oncle et ma tante, débarquaient nos cousins: Manon, Georges, Bastien et Gilbert, tous de joyeux drilles, doués d'une inaltérable bonne humeur, et enclins à tout propos, à "dégainer" une bonne plaisanterie ou à raconter une blague oranaise...
Ils ne venaient jamais sans quelques présents tels que des "blanquicos", des "boutifares" et autres succulentes charcuteries, achetées le jour même, au réputé marché de la "Plaça blanca"...
Pour mon père qui aimait bricoler, un assortiment de clous, vis et boulons, vendus au poids dans la grande quincaillerie de leur quartier, sans oublier la bouteille d'anisette... un grand choix de bonbons, de toutes les couleurs, pour nous...
Cadeaux modestes, certes, mais que la petite fille que j'étais, trouvait somptueux et généreux.
A l'heure des repas, notre salle à manger se révélait bien exigüe pour contenir les deux familles réunies autour de la table, prolongée par celle de la cuisine, qu'on lui adjoignait pour l'occasion.
La joie des retrouvailles et l'ambiance de fête restent gravées dans ma mémoire.
Il n'était pas rare que les agapes se terminent par une tyrolienne (la spécialité de l'oncle), chantée en coeur par nos joyeux lurons.
On logeait nos invités comme on pouvait... certains chez d'autres membres de la famille, vivant dans notre quartier, mais les jeunes étaient ravis de dormir sur la galerie qui desservait les logements du premier étage. On ne faisait vraiment pas de manières en ce temps- là, l'hospitalité était sacrée !!
Naturellement, nous n'étions pas les seuls à recevoir des invités, et par exemple, de l'autre côté de la rue Voltaire, juste en face de chez-nous, stationnait une curieuse petite voiture décapotable, d' où avaient débarqué l'oncle, la tante et la cousine de Nino (notre voisin et ami), de même qu' un petit singe apprivoisé qui faisait la joie de tous les enfants de la rue. Des fenêtres entrouvertes de la maison Minuto, s'échappaient les sons d'un piano, et des airs d'opéra chantés par une autre tante de Nino, cantatrice de son état...
Venue de Mers-el-Kébir, d'Oran, d' Alger et d' ailleurs, cette grande famille se réunissait, elle aussi, pour célébrer dans la joie, oh combien, le 15 Août d' Arzew....
Fin 2ème partie
Troisième partie...
A bien y regarder et avec le recul des ans, j'ai fini par admettre que cette fête ressemblait à toutes les autres, forcément, mais comme à l'époque je manquais de références en la matière, je la trouvais, avec mes yeux d'enfant, incomparable...
Elle se déroulait toujours sur les même lieux: la Promenade des palmiers, sur toute sa longueur, et la rue allant du bar de "Tchimet Ballaguer", à la Place d' Isly.
Nous ne manquions jamais, dans les quelques jours précédant le début des festivités, de nous intéresser de près aux travaux d'installation des manèges, balançoires, chenille, baraques foraines, etc… qui se déroulaient comme un ballet bien réglé.
Nos équipes municipales avaient déjà fait merveille, en élaguant les branches mortes de palmiers, dont le tronc avait été reblanchi à la chaux.
Monsieur Michel Perles et ses employés avaient orné certaines rues, d'un ciel de guirlandes d'ampoules électriques multicolores... La société Ruggieri s'activait pour sa part, à installer sur des chalands ancrés dans le port, les dispositifs de mise à feu des fusées, pour le spectacle pyrotechnique.
Chaque année, le kiosque de la Place d' Isly était décoré selon le thème choisi par le Comité des fêtes.
A l'immense sombréro mexicain qui l'avait surmonté en 1954 (?), en raison sans doute de l'influence d'une série de films dont Xavier Cugat était la vedette, succéda en 1955, un décor de pagode symbolisant "Les nuits de Chine", qu'on célébra cette année-là.
Le décor était planté, la fête, pour notre plus grand bonheur, pouvait commencer. Non moins impatients que nous, les estivants habituels, propriétaires de villas et cabanons à la Fontaine des Gazelles ou à Damesme, étaient venus grossir les rangs de la population arzewienne. Comme une vague déferlante, allaient bientôt arriver des voitures surchargées, en provenance d'Oran, du Sig, de Perrégaux, de Mascara, de Sidi-bel-abbès, de bien plus loin encore, et se retrouveraient garées un peu partout, dans les endroits les plus inattendus.
Pour nous, les choses s'annonçaient bien.
Comme tous les enfants du monde, nous préférions la fête foraine. Dans un indescriptible brouhaha, ici, une marchande de chips n'avait pas du tout besoin de faire "l'article", pour vendre sa croustillante marchandise dont l'odeur et la vue, nous mettaient en appétit... là, on confectionnait, sous vos yeux, des berlingots de toutes les couleurs, des "taillos", de la barbe à papa... Autour d'un minuscule plateau, des "gogos" essayaient en vain, de gagner au bonneteau... A une table de jeux, installée en plein vent, un croupier annonçait: "les jeux sont faits... rien ne va plus"... Au stand de tir à la carabine, de fins tireurs arrivaient à décrocher une peluche, et à celui du jeu de massacre, il fallait écrouler des pyramides de boites de conserves, à l'aide de balles en chiffon, bourrées de sciure de bois... Tout à côté, on pouvait acheter des ballons, de baudruche, multicolores ou des petits moulins en celluloïd, tournant au moindre souffle d'air... A proximité du train fantôme, la "chenille" faisait entendre sa sirène et les cris rigolards de ses occupants, en prenant de la vitesse, et lorsque la bâche tendue par des arceaux venait les dissimuler à la vue du public... Puis venaient des manèges, des balançoires, des stands, où des "Madame Irma" vous dévoilaient votre avenir... Un homme en frac, le visage et les cheveux recouverts d'une peinture dorée, gardait une immobilité absolue, puis changeait brusquement de posture, dans un mouvement d'automate. Plus loin, la Baraque Martin nous proposait des lots de vaisselle, et pendant que la "patronne" vendait les billets de loterie, le "patron" mimait sur scène, les personnages d' une chanson, grimé et déguisé en femme fessue, en cow-boy des plaines du Far-West, en comique troupier, en arabe enturbanné et barbu, chantant en sabir: "ça va te passer... ça va te passer"...
Quatrième partie et Fin...
Mais les fêtes, naturellement, ce n'était pas que ça, nous courions du matin au soir, afin de ne rien manquer: Compétition d'aviron, matches de water-polo, et certaines années (lointaines, il est vrai), régates de palangriers, toutes voiles déployées... Jeux nautiques consistant par exemple, à poursuivre à la nage des cochons de lait ou des canards enduits de suif, jetés à la mer, et tenter de s'en emparer... Ou bien encore, à marcher sur une poutre savonnée, essayer de décrocher tout au bout un drapeau, en évitant de chuter dans l' eau... Tournois de pétanque ou de boules lyonnaises... Mâts de cocagne...
Les adultes, pour leur part, attendaient avec impatience que le bal commence, et à l'heure dite, la foule se dirigeait vers la Place d' Isly.
Cette année-là encore, on avait fait appel à Martial Ayéla et son orchestre, la piste de danse s'avérait tout de suite trop petite... Et ceux qui venaient juste pour regarder, se trouvaient relégués derrière la ligne des palmiers qui ceinturaient la place.
Les bars pourtant nombreux, et les buvettes, ne désemplissaient pas et... Sans relâche, les barmen dont les effectifs étaient pourtant renforcés, servaient une clientèle assoiffée... Par les brochettes et la rate farcie bien salées et poivrées, aux odeurs tentatrices, vendues à l'extérieur devant l'entrée.
Le quatrième et dernier jour, le critérium cycliste, attraction très prisée de la foule, mettait en compétition des coureurs venus des quatre coins de l'Oranie. La vedette en était, sans conteste, notre concitoyen Kiter, qui bien que distancé et par conséquent éliminé après quelques tours, refusait d'obéir aux injonctions du speaker et continuait imperturbablement sa course, poursuivi par les quolibets d'une foule moqueuse.
L'après-midi du même jour, une nombreuse assistance écoutait les courageux participants au radio-crochet, et les départageait par des applaudissements nourris et des vivats ou des lazzis cruellement moqueurs.
Le jour de l'Assomption, avaient lieu la procession et la bénédiction en mer des barques des pêcheurs et de leurs équipages. Tous les bateaux, surchargés à couler d'Arzewiens et de "touristes pèlerins", suivaient, au plus près, la voiture amphibie de la Base navale transportant la statue de la Sainte Patronne d' Arzew, notre curé, les enfants de choeur et les "enfants de Marie". Tous ces fidèles embarqués unissaient leurs voix en chantant, avec ferveur, un émouvant Ave Maria dont les couplets se succédaient pendant tout le temps que durait la cérémonie.
Et le soir même, clôturant ces quatre jours de liesse populaire, un incomparable feu d'artifice éclatait dans le ciel, et ses reflets sur les eaux du port, augmentaient encore sa magnificence, offrant à une assistance émerveillée, un spectacle qu'elle ovationnait et applaudissait à tout rompre, depuis la plage où elle s'était agglutinée. C'était fini, nos visiteurs nous quittaient dès le lendemain, et la vie reprenait son cours normal. Arzew se réveillait, encore tout étourdi, mais fier d'avoir été pendant ces quatre jours, le "centre de notre petit monde"...
Est-ce que je suis chauvine, de croire encore, après tout ce temps, que ces fêtes étaient ce qu'on faisait de mieux… Toujours est-il, qu'à chaque fois que j'ai eu l'occasion, au hasard de rencontres avec des oraniens auxquels j'apprenais que j'étais arzewienne, je me suis entendue dire: "ah, les fêtes d'Arzew, quel bon souvenir" !!