<%@LANGUAGE="VBSCRIPT" CODEPAGE="65001"%> Arzewville, les palmiers de mon enfance

MES PREMIERES ARMES D’INSTITUTEUR EN ALGERIE .

ARZEW La Guetna

1er octobre 1954 :

Et voila, ça y est !
Ce matin, très tôt j’ai pris le car qui dessert Oran –Arzew, au Square Garbé,  près de la Cathédrale, et me voici maintenant arrivé à la Gare de cette charmante petite ville que je connais bien pour y avoir passé la plupart des Quinze Août de mon adolescence.
Je viens d’avoir 20 ans, et ma nomination en poche, je me dirige fièrement vers mon premier poste d’instituteur à Arzew La Guetna, circonscription de Mascara.
J’ai le trac ! Je vais enfin rencontrer les premiers élèves de ma carrière. Je sais que ce sont des CE1. Je prends mon cartable, mon courage à deux mains – ça fait au moins trois mains, non ? – et je monte vers l’école, tout près du Douar de la Guetna. J’imagine une modeste bâtisse et des tables plus ou moins bancales…Aussi, suis-je très agréablement surpris de découvrir une école neuve, moderne, de plusieurs classes toutes parfaitement équipées. Le Directeur et son épouse également enseignante, tous deux métropolitains et dont j’ai oublié le nom m’accueillent chaleureusement.
La cloche sonne et devant ma classe se regroupe une quarantaine d’élèves remarquablement disciplinés. Ils me regardent en silence, un peu inquiets, avec curiosité…
Ils rentrent en classe et s’assoient directement n’importe où, de manière désordonnée…
Debout sur l’estrade, je les regarde sans dire un mot. Au bout d’un long moment de silence, imposant, sur la symbolique estrade, je leur dis bonjour et leur explique qu’on ne rentre pas en classe comme dans une bergerie, et qu’il convient de rester debout près de sa place, en silence, avant que le maître ne donne l’ordre de s’asseoir. On sort pour une répétition générale et dorénavant, c’est un problème réglé.

Le contact est établi sur de bonnes bases et mon objectif essentiel est de leur apprendre à s’exprimer en Français dans une langue correcte. Tous les actes de notre vie quotidienne sont réglés sur ce principe, afin que de manière active, la classe puisse baigner dans un bain de langage permanent.
Ce qui se traduit par des consignes et un rituel qui peut sembler ridicule mais au bout du compte efficace.

Ainsi, chaque jour, sur le pas de la porte, un par un, ils passent devant moi pour rentrer en classe :

  • «  Je montre mes mains propres au maître !  
  • «  C’est bien ! » ou,
  • «  Elles sont sales ! Va les laver ! »
  • «  Je vais laver mes mains. »

 

Et en classe :

  • «  Belkacem ! Viens au tableau ! »
  • «  Je viens au tableau ! »
  • «  Ahmed, que fait Belkacem ? »
  • «  Belkacem vient au tableau ! »
  • « Belkacem écris… »
  • « Je prends la craie et j’écris… »

Ainsi se passent les premiers jours et j’ai la grande satisfaction de les voir rapidement progresser dans la langue de Molière…

1er Novembre 1954 :

Il y a déjà un mois…… J’ai loué une chambre dans un petit immeuble, au premier étage, pas loin de la place principale avec son légendaire kiosque à musique et sa belle église aujourd’hui disparue. Tous les midis, je prends mon repas en pension dans un petit restaurant de la rue d’Isly et j’ai encore en bouche la saveur des gambas et langoustines à la mayonnaise, une entrée quotidienne à tous mes repas. Le soir, je m’assois sur un banc de la place près du kiosque : Elles sont jolies les filles d’Arzew ! Souvent, je me promène aussi sur l’avenue des palmiers, le long de la mer, et la copieuse kémia des bars me sert le plus souvent de repas… Le Café du Commerce, dans un coin sur la place, m’a certainement vu faire escale et ce gamin de dix ans qui tape en rythme sur une vieille caisse en bois n’était ce pas Jean Almodovar, le fils du patron ? Etranges, ces croisements du destin… Mais le destin, ce soir 1er Novembre 1954, est en train de prendre une tragique tournure. Dans le bar, il n’est question que des dizaines d’attentats meurtriers qui ont eu lieu, un peu partout en Algérie, et plus particulièrement de l’embuscade d’un car du côté des Aurès qui a notamment coûté la vie à un couple d’instituteurs. C’est la Toussaint Rouge, qui quelques années plus tard, nous mènera sur l’autre rivage de la Méditerranée. La tension est forte, chacun y va de son commentaire et les Arabes rencontrés dans la rue nous croisent rapidement en baissant la tête. Le malaise et l’inquiétude s’installent les jours qui suivent. Dorénavant, rien ne va être plus pareil…

20 Novembre 1954

C’est un jour important puisque je passe les épreuves pratiques et orales du Certificat d’Aptitude Pédagogique. Très tôt, l’Inspecteur arrive à l’école. Il s’appelle Monsieur Pralon, et lui aussi est métropolitain. Je me souviens surtout de la leçon de langage partant d’une activité à caractère scientifique ayant pour thème le Corps humain : le nez et l’hygiène et débouchant par interdisciplinarité – ce que l’on prône encore aujourd’hui- sur une leçon de Français dont l’objectif était de faire dire aux élèves – excusez du peu « Si j’avais un mouchoir, je me moucherais, si tu avais un mouchoir tu te moucherais, s’il…si nous….si vous…s’ils avaient un mouchoir ils se moucheraient … » Rien moins que l’emploi du conditionnel présent, sans jamais le nommer, bien sûr! Le problème, c’est que les Kleenex, pas plus que les Sopalins, n’existaient à cette époque et que mes petits élèves ne pouvaient se payer le luxe de s’offrir des mouchoirs… Merci encore maman et grand-mère pour ces cinquante mouchoirs, découpés dans un vieux drap et patiemment ourlés à la main…Bien sûr, ils n’étaient pas en soie…Mais quelle richesse pour ces jeunes garçons ! Très tôt, ma plus grande récompense fut de constater l’abandon de l’ancestrale façon de se moucher en plein air avec l’appendice nasal entre le pouce et l’index au profit de ce carré de tissu , lavé, séché et réutilisé dans un usage quotidien. Dans ce joli petit port de pêche rempli de bateaux, la bataille nasale était gagnée ! Hélas, une autre bataille d’une autre dimension, une bataille infiniment douloureuse et tragique se mettait en place, peu à peu, insidieusement…. Elle allait changer radicalement le cours de notre destinée…

1er Février 1955

Cà y est ! J’y suis ! Me voilà trouffion ! J’ai reçu ma feuille d’appel bien plus tôt que prévu, l’une des premières conséquences de ce que l’on commence à nommer pudiquement, les évènements d’Algérie. J’ai de la chance : je suis affecté à la base militaire de La Sénia, dans l’Armée de l’Air. Avant-hier encore, j’étais dans ma classe. Finalement, je n’aurai occupé ce premier poste que quatre mois, mais quatre mois qui m’auront marqué et conforté dans le choix de ce métier. Cette dernière journée a été plutôt triste. Les élèves n’ont pas manqué de me questionner à propos de mon départ, et c’est là que j’ai véritablement pu évaluer leur progrès en Français…J’en suis très heureux : je n’aurai pas perdu mon temps… Mais la grande surprise a eu lieu à la sortie des classes, lorsqu’un parent d’élève est venu me dire au revoir avec un cadeau à la main : dans une petite boîte en carton enveloppée de papier journal, j’ai trouvé quatre petits mouchoirs brodés – des vrais !- que j’ai gardés longtemps, mais que malheureusement, j’ai perdus quelques années plus tard, dans la tourmente du triste exode de juillet 62. Cette boîte de mouchoirs, c’est sûrement le plus beau des cadeaux de parents d’élèves que j’aie reçu dans ma carrière. Et ce jour là, l’un des mouchoirs est venu sécher un surplus d’émotion… Dans les mois qui suivirent, j’eus le temps de penser à ces quarante petits bonhommes, si heureux en classe quand on chantait « Colchique dans les prés » ou « Il était un p’tit cordonnier » ou quand on tapait du pied sur un vieux ballon dans le poussiéreux champ voisin. J’ai donc eu tout loisir de penser à ma première classe, puisque mon Service Militaire qui devait durer 18 mois fut prolongé par un maintien sous les drapeaux jusqu’en septembre 1957… Cette fois, aucun doute : nous étions bien entrés dans une véritable guerre d’indépendance… Je venais de tourner la première page de ma carrière au cours de ce bref séjour dans cette dans cette charmante petite ville d’Arzew qui a connu les premiers pas - les plus importants !- de ma vie professionnelle, petite ville que cinquante ans plus tard, sur une idée de Jeannot Almodovar, j’ai eu grand plaisir à mettre en musique et à chanter…

Liens : Art de nomination, Appel sous les drapeaux, Rapport 1, Rapport 2, Rapport 3

 

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